Ne connaissant pas la version originale de 2017 du jeu, c’est donc avec un œil neuf – et innocent- que je vous livre le test de cette réédition d’OBSERVER_ System redux.
Pour en savoir plus sur les ajouts techniques entre les deux versions, je vous invite à consulter mon article précédent.
J’ai eu le plaisir de recevoir la version physique du jeu qui se présente dans un joli boitier semi rigide et qui s’accompagne d’un art book. La qualité du papier de l’art book est à saluer bien qu’on ait eu envie qu’il soit un peu plus grand. Les illustrations sont belles, soignées et le livret est agréable. Un grand merci par ailleurs, à Koch Média France, pour me permettre de vous livrer mes impressions sur cette oeuvre Post-moderne du monde vidéoludique.
OBSERVER_
“En l’an 2084, le futur est devenu beaucoup plus sombre que n’importe qui n’aurait pu l’imaginer. Dans un premier temps est apparu le Nanophage, une épidémie numérique qui a tué des milliers de personnes ayant choisi d’améliorer leur esprit et leur corps. Par la suite, vint la Guerre qui fractura l’Ouest et l’Est, permettant ainsi aux corporations de prendre le pouvoir et de bâtir leurs propres empires corrompus.
Vous n’êtes qu’un instrument d’oppression à leur yeux. Craint et méprisé, vous hackez les recoins les plus sombres de l’esprit de vos suspects. Ainsi, vous vous introduisez dans leurs rêves, exposez leurs peurs afin de soutirer des informations précieuses pour le bien de votre enquête. Vous êtes l’Observer !”
C’est un gameplay intéressant que nous offre OBSERVER_ Redux System.
Les aficionados des jeux d’enquêtes immersives auront grand plaisir à retrouver les interactions avec le décor qu’ils aiment et qui donnent de la tangibilité à l’environnement. La possibilité d’interagir avec presque toutes les parties mobiles du décors par exemple ( portes, placard etc…), procure une évidente satisfaction et apporte beaucoup de réalisme. On a envie de toucher, sentir et de découvrir ce qui se cache derrière chaque porte close.
Le jeu a ceci de brillant qu’il maintient éveillée la flamme de notre curiosité à chaque instant, en cachant dans des recoins des scénettes en apparence anodines. Un objet personnel abandonné ici, une pièce innappropriée dans le contexte, ou un dispositif étrange qui n’a rien à faire là, sont un millier de questions livrées à notre esprit. On se demande pourquoi ou comment le moindre objet anodin se retrouve sous nos yeux dans ces circonstances.
Qui vit ici ? Que s’est il passé dans cette pièce ? Quel secret sordide cache l’absence qui habite le lieu ? Cette sensation que le moindre détail cache une histoire est très stimulante. Elle vient résonner avec le sentiment de menace et d’oppression permanent qui plane. On perçoit à travers ces éléments, le soin apporté aux détails dans le jeu. C’est particulièrement plaisant !
Les tentatives d’immersion sont légion et c’est un jeu bourré de bonnes idées. Malheureusement, on peut lui reprocher un aspect un peu “raide”. Les manipulations ne sont pas toujours intuitives ou manquent de subtilité. Les animations du corps du personnage sont plus que minimalistes et c’est dommage. Dans ces décors magnifiques, on a envie de voir, de sentir, de toucher… Hélas, ce cher Dan conserve une immobilité rigide et on regrette d’à peine voir ses mains. On a envie de le voir saisir les placards que vous ouvrez ou se baisser pour ramasser véritablement les objets. Je pinaille certes. Cepenant, on aimerait percevoir des micro tremblements dans ses mains, sentir son stress dans des tics ou bien sa nervosité à travers des mouvements parasites plus humains. On a envie d’une sensation plus organique avec ce personnage très vivant, très moral dans ce monde froid et cynique. A moins bien sûr que ce caractère lissé que rien n’atteind en apparence soit dû à ces pillules que vous prenez sans cesse. Dans ce cas, l’intention devrait être plus marquée. Nous y reviendrons plus bas.
On a mis un soin tout particulier aux phases de puzzle. Ici, pas de sudoku remixé, d’énigme à base d’ordre numérique ou de casse-tête de cahier de vacances. On inclut le décor en tant que personnage à part entière du jeu en exploitant le huis-clos avec brio. En outre, lors des séquences de plongée synaptiques du personnage dans la mémoire de ces cibles, les labyrinthes et énigmes se résolvent toujours par la progression du personnage elle-même et racontent toutes quelque chose. C’est le point fort de ce gameplay : s’appuyer entièrement sur l’histoire, le décor et sa progression narrative plutôt que sur les mécaniques pures.
Tantôt avec des phases de furtivité ou d’infiltration faisant partie intégrante de la narration, tantôt avec des interactions spécifiques, vous pourrez comprendre la logique de la scène. C’est le décor qui vous guide. Je déplore cependant que certaines étapes soient tout à fait contre-intuitives, ce qui oblige le joueur à recommencer parfois plusieurs fois pour arriver à saisir la logique de l’énigme ou le fonctionnement d’une mécanique que ne lui semble pas “logique”.
“J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli… comme… les larmes… dans la pluie. Il est temps de mourir”
Roy Batty, incarné par Rutger Hauer , “Blade Runner” de Ridley Scott (1982)
OBSERVER_ est un véritable cri d’amour aux romans Post-modernes, à la Science Fiction Cyberpunk et plus particulièrement au monument du cinéma qu’est le film “Blade Runner”, mais aussi aux grands classiques du fantastique et de l’horreur comme “Le loup-garou de Londres”. C’est assumé dans tous les détails de l’introduction du personnage dans sa voiture jusqu’à l’omniprésence des pigeons sur les toits et de la pluie… Daniel Lazarski est d’ailleurs incarné par Rutger Hauer. En véritable amoureuse de Science Fiction et de films Noirs, il n’en fallait pas plus pour me faire chavirer dès le carton d’hommage à l’acteur dans l’introduction.
Immédiatement le jeu installe un fort sentiment d’oppression, de contrôle. Vous-même, l’Observer, êtes sous la lorgnette de votre superviseur “pour votre bien”, et vous vous gardez d’ailleurs bien de lui parler du petit incident qui se produit lors de votre briefing et qui vous affecte personnellement… Ambiance Orwellienne garantie.
Alors que vous pénétrez dans le fameux immeuble, véritable personnage à lui tout seul avec son propre microcosme ; la misère sociale vous saute au yeux au travers des décors et des ambiances. Elle est cachée par le vernis numérique qui tapisse les murs, litteralement, et ne tardera pas à tomber révélant les façades mitées et les couloirs décatis. De sa photographie soignée à ses ambiances sombres, tout respire ce futur dystopique qui n’est pas si étranger que ça à notre présent.
Les connaisseurs du genre apprécieront la présence discrète des références, tout en se réjouissant qu’elles ne soient pas une justification envahissante mais plutôt une citation humble, placée avec assez de subtilité pour se faire oublier et laisser au jeu déployer son propre langage. Tout au long de la narration, une bande sonore appuie les moments intenses et le stress du personnage avec pertinence.
Les habitants de cet immeuble sont un concentré de société rendue folle par l’opression, la pression financière, la detresse sociale etc. Chaque résident a un message à nous délivrer au sujet de nous même, de la société dans laquelle nous vivons et de notre voisin de palier qui souffre autant que nous.
A bien y regarder, Daniel est le seul véritable être vivant de cet endroit en dehors de l’antagoniste. Ses maigres contacts avec les habitants paranoïaques sont déments et distants, réalisés au travers de machines. Les seuls visages qui vous regardent sont les publicités animées et froides de Charon où un sourire artificiel et calibré vous fixe derrière un rideau de pluie. Lorsque vous entrez au contact d’une autre forme humanoïde, elle est artificielle, meurtrie ou bien c’est le corps inerte et ensanglanté d’une victime. La seule présence vivace qui hante le lieu est le concierge : un homme mutilé, brisé et à demi machine qui trouve plus de réconfort auprès de son robot de maintenance que dans les conversations lapidaires qu’il échange -contraint- avec vous… Le message est passé : c’est un monde de misère, de douleur et de solitude.
Un seul véritable bémol a géné mon immersion : le choc mental et la confrontation avec l’horreur auraient pu être mieux gérés. On n’y croit pas. Les troubles de la vision, la respiration erratique du personnage ou son incapacité à bouger sont une piste. Pouvait-on aller plus loin ? Ou bien ces pilules que vous prenez aussi régulièrement gomment-elles aussi vos émotions et vos sentiments humains les plus élémentaires ? On sent qu’il y a une volonté narrative derrière cette mécanique mais dans les deux cas, pour moi, elle n’assume pas suffisament ses intentions.
Globalement, le gameplay d’OBSERVER_ est agréable. Même s’il ne sort pas véritablement des sentiers battus, on sent le soin donné aux mécaniques, sans pour autant révolutionner le genre. Un classique n’offre certes pas de grandes révélations mais il faut le saluer quand il est réalisé avec maestria. C’est le cas pour OBSERVER_. Bienvenue dans une enquête sombre et troublante.
Du côté de l’univers, il aurait pu tomber dans le travers de n’être qu’une accumulation de références nostalgiques sans propos. Ici, au contraire, c’est à mon sens une œuvre à part entière qui démontre sa grande maîtrise des codes et des ficelles des classiques du genre, cherchant à s’inscrire à leur côté et à revendiquer sa filiation. OBSERVER_ nous livre ses références, ses influences et ses interprétations mais avec un discours et un propos qui lui sont propres. C’est un regard actuel porté sur le monde de demain mais qui reprend les mises en gardes d’hier, puisque nous y sommes restés sourds.
Assumer son ambiance de thriller contemporain violent et le conjuguer à l’aspect lent, rugueux et pesant des enquêtes criminelles des films Noirs est un parti pris fort. Ce mariage réussi donne à ce jeu une identité unique, remplie d’autant de fatalisme que de mystère et peut-être, qui sait, de l’espoir en un avenir plus lumineux.
OBSERVER_ est un bon jeu, aux codes et aux mécaniques maîtrisés et il porte et assume à merveille cette maturité.
“Je suis Daniel Lazarski, un Observer. Je suis un agent spécial, un enquêteur de terrain, qui plonge dans les tréfonds obscurs de votre esprit pour en extraire la vérité, de gré ou non… Vous n’êtes à l’abri nulle part, pas même dans les derniers retranchements de vos souvenirs, pas même dans la mort. Le viol ultime de votre vie privée, jusque dans vos dernières pensées. La mémoire elle-même est subjective, mais je finirai par trouver ce que cachent les ombres de votre esprit.”